HOMMAGE A GEORGES ACAMPORA

Publié le par Moubadara24fevrier

 

 

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Le Docteur Sekheri, fut dès son plus jeune âge admirateur de Georges Acampora, son voisin, homme exemplaire, militant et officier du corps des pompiers d’Alger. Il décida de baptiser son  « Centre de diagnostique anti cancer Saha-plus  Sekheri » du nom de Georges Acampora.

Désormais le Centre de diagnostique anti cancer Georges Acampora existe à Hammamet, (Ex Bains Romains) à Alger, grâce à cette belle initiative citoyenne. 

 

C’est à l’initiative de la Moubadara 24 Février, qu’un hommage fraternel a été organisé  le 29 octobre 2011. Cette cérémonie a été placée sous le double signe de la célébration de l'anniversaire du 1er Novembre 1954 et du 75e anniversaire de la création du Parti Communiste Algérien (PCA) le 18 octobre 1936.

 

Cet hommage a été inauguré par le message de Sadek Hadjeres


Chers amis et camarades,

J’aurais été infiniment  heureux d’être présent physiquement avec vous aujourd’hui pour honorer notre cher camarade et frère Georgeo. Mais  je suis de tout cœur avec vous et près de lui pour lui rendre  un hommage qu’il mérite : celui de lui dédier l’œuvre de vie qu’est l’ouverture d’une clinique médicale, vouée à la santé et au bien-être moral des citoyens et citoyennes.

De loin, j’imagine comme vous le constatez sans doute  vous-mêmes que notre camarade, malgré l’âge, les émotions et les épreuves traversées a du conserver le sourire amical  et le calme en toutes circonstances. Ce sourire, ce calme, cette amabilité envers ses semblables, je les lui ai toujours connus depuis nos rencontre sur le terrain des luttes il y a une soixantaine d’années, agrémentées aussi par  les rencontres amicales et familiales où résonnait le rire de son épouse Juliette   et son accent inimitable de Bab El Oued.

Comme bien d’autres, j’ai toujours été ému par ce tempérament souriant, calme et affable chez un homme  aux fortes et indéracinables convictions patriotiques et de classe. Un Homme ouvert en même temps aux joies, aux espoirs et aux malheurs de ses semblables, compréhensif à leurs problèmes, prêt sans hésiter à leur apporter solidarité et fraternité. Un seul ennemi pour lui : l’injustice sociale et le chauvinisme identitaire.  Avant comme après l’indépendance, Il n’a cessé de combattre ces deux fléaux par son exemple, au péril de sa liberté et de sa vie. Non pas pour gagner des honneurs ou des profits, mais comme une chose naturelle et humaine, conforme à l’idéal généreux pour lequel il s’est engagé. 

Je me bornerai ici à trois ou quatre flashs, quelques moments de son long  itinéraire marqué par l’abnégation et la modestie.

Mon souvenir le plus lointain avec Georgeo remonte au début des années cinquante. C’est l’époque ou après avoir quitté le PPA-MTLD puis été président des étudiants musulmans (AEMAN),  j’ai fait le choix d’adhérer à une cellule de base du PCA comme nombre d’autres travailleurs et étudiants. Je le trouvais souvent au siège de la région d’Alger du PCA qui venait de passer de la rue Cavaignac à la rue des Tanneurs. Ses activités syndicales et  militantes lui avaient valu d’être élu membre du comité régional d’Alger puis de son bureau, à l’époque où le secrétariat avait été assumé par des camarades dynamiques et combatifs comme Taleb Bouali,  Mahmoudi,  Dalibey,  Khellef,  Gadiri. Mais Georgeo, tout en participant activement aux réunions de ces instances, n’était pas un homme de bureau, tout comme les Belaid Khelifa (lui aussi ancien PPA-MTLD et responsable syndical des Traminots), Tayeb Bouhraoua,  Mustapha Saadoun tous deux infatigables activistes et bien d’autres. On avait plus de chances de les retrouver, seuls ou ensemble, avec les ouvriers des Tabacs de Bab el Oued, les dockers en pleine action, les pêcheurs ou travailleurs des conserveries de Chiffalo et de la côte Ouest, les habitants des ruelles de la Casbah ou du bidonville Mahieddine,  les travailleurs agricoles du douar Heuraoua vers Ain Taya, ceux de toute la Mitidja et les paysans du piémont de l’Atlas Blidéen, sans compter les meetings d’union patriotique comme celui, mémorable tenu au cinéma  Dounyazad pour la fondation du Front Algérien de 1951.

Deuxième souvenir aussi précis. Vers juin-juillet 1956, dix huit mois après le déclenchement du 1er novembre 54, Bachir Hadj Ali et moi-même nous nous étions répartis les rencontres individuelles avec de nombreux responsables et combattants des groupes de CDL (Combattants de la Libération) pour les informer et avoir leurs avis sur les décisions du Comité central du PCA après un mois d’échanges et de débats qui ont suivi la rencontre à Alger avec Abane Ramdane et Benkhedda, dirigeants du FLN-ALN. Georges Acampora faisait partie des camarades que j’ai rencontrés dans un studio de la rue Pirette. Je n’étais pas étonné de voir avec quelle maturité politique il avait compris l’opportunité et les modalités de l’intégration des combattants communistes dans l’ALN. A la vérité, ce fut le cas de la quasi-totalité des camarades combattants consultés. Un seul avait d’abord souhaité que les CDL continuent à maintenir leur autonomie totale y compris par la création de maquis indépendants du FLN. Ce camarade faisait partie d’un regroupement provisoire de volontaires communistes dans les monts au dessus de Bouinan, il se disait conforté dans cette conviction par l’accueil extraordinaire fait par la population des campagnes et des villes à l’opération d’Henri Maillot. Mais convaincu  - et pas seulement par discipline -  il combattra dans l’ALN avec un courage exemplaire, affrontant comme l’a bien montré l’ouvrage de Mohamed Rebbah, les mêmes embûches et discriminations que ses camarades Noureddine Rebah ou Mustapha Saadoune. Quant à Georgeo, les orientations proposées par le comité central lui paraissaient l’évidence même : il les appliquera avec  notamment l’attaque du commissariat de police de La Redoute (aujourd’hui El Madania). Ce qui lui valut la condamnation à mort ainsi qu’à Mourad Akkache, un autre acteur de l’opération, qui était le frère de Ahmed Akkache, qui lui de son côté fut  condamné aux travaux forcés pour ses activités de dirigeant du PCA[1].

Un camarade m’a demandé récemment si Gorgeo n’était pas dans l’attentat manqué contre le général Massu. Non, c’était  Briki Yahia, ancien rédacteur à Alger républicain, qui était lié au groupe impliqué et fut de ce fait lui aussi condamné à mort. Les renseignements de localisation nous étaient parvenus par des sympathisants de longue date du travail de masse culturel. L’arme du tireur s’était enrayée, ce qui était fréquent pour des mitraillettes Sten déjà durant la guerre mondiale. Il aurait fallu par précaution deux armes et deux tireurs. Une autre leçon est que si le FLN avait été moins réticent à des contacts PCA- FLN, c’est un stock des carabines américaines modernes qu’il aurait été possible de récupérer par une opération combinée ALN-CDL.

  Ce que fut plus tard  le comportement de Goergeo face à la police, au tribunal militaire ou  dans les couloirs de la mort de Serkadji Barberousse, ses compagnons de détention le diront mieux que moi.

Mais ces sinistres souvenirs seront atténués, sans être effacés, par l’accession de l’Algérie à une nouvelle étape de son existence, celle où le combattant anticolonialiste intransigeant donnera sa pleine mesure dans les œuvres d’édification nationale, sollicitant de nos compatriotes  toujours plus d’esprit de large rassemblement des forces populaires  et davantage encore d’exigences en matière de droits sociaux et démocratiques. Comme ses camarades et compatriotes sensibles à ce message, Acampora a participé à ces nouveaux combats syndicaux, associatifs et politiques comme citoyen, sans chercher à tirer gloire de sa qualité d’authentique moudjahid. Il a assumé ce nouveau combat d’intérêt national dans les rangs du PCA puis du PAGS. Il en a partagé de façon exemplaire les joies, les sacrifices et les déceptions, donnant à tous l’image de ce que devrait  être un militant communiste. Il l’a fait en particulier dans deux domaines et de deux façons: par son activité  professionnelle d’une part, par sa proximité et  son immersion dans la base sociale et populaire d’autre part. Il n’est pas étonnant que cette double qualité ait scellé une solide amitié entre lui et des hommes comme Mohand Saïd Mazouzi et Ali Zaamoum, de grands Sages comme lui qui savaient mener de front l’engagement patriotique et social aussi bien dans l’appareil d’État qu’au cœur de la population.

Professionnellement,  comme agent de la Protection civile  qu’il était déjà quelques mois avant guerre, il a dès l’indépendance contribué par son exemple à insuffler à cette institution l’efficacité, le dynamisme et l’organisation qu’en attendent les citoyens, devenant ainsi rapidement un cadre de valeur, respecté et reconnu de ses collègues et de la hiérarchie.

Mais les responsabilités professionnelles et administratives ne l’ont pas éloigné de l’engagement comme fils de Bab El Oued, au plus près de ses concitoyens d’un quartier éminemment populaire. Un engagement quotidien qu’il considère comme la base d’un militantisme d’avant-garde. Son « avant-gardisme » ne considère pas de haut les travailleurs et les couches défavorisées à qui il faudrait apporter les lumières et dicter les conduites. Il s’exprime avant tout par l’action et l’exemple  concret en accompagnement des problèmes et des prises de conscience hésitantes ou contradictoires de ses concitoyens. Quand il transporte en pleine nuit à l’hôpital une mère prête d’accoucher alors que des voisins malgré leur bonne volonté se sont dérobés en raison du couvre feu et de grave insécurité, voila ce qui reste en mémoire des gens, voilà la lumière qui éclaire encore mieux que tous les slogans et discours prononcés pour ou contre les communistes. C’est ce qui est resté chez les enfants du quartier devenus adolescents ou adultes. Et qui explique largement pourquoi il n’est rien arrivé à cet européen d’origine dans un quartier qu’il ne voulait pas quitter. C’est le secret de tant d’autres qui, comme Baptiste Pastor « le Rouge » dans ce quartier avait traversé toute la guerre de libération sans être agressé par les « pieds noirs »  racistes mais qui le respectaient, jusqu’au jour où il fut assassiné après le cessez le feu par des sbires patentés de l’OAS.

Je voudrais terminer cette évocation en disant simplement deux choses.

La première, c’est que je suis fier d’être de la même mouvance que des compatriotes de la qualité humaine de Georges Acampora, qui comme Iveton, Maillot,  Raffini et tant d’autres ont prouvé par les faits une chose importante : ce qui compte le plus dans le combat d’émancipation politique et sociale des peuples, ce n’est pas l’identité génétique ou culturelle mais les actes.

La deuxième est mon souhait, dans les dures épreuves que traverse aujourd’hui  et que continuera à affronter le monde, les jeunes générations apprécient à leur valeur la leçon de courage, d’humilité, de sagesse et de sensibilité que nous donne notre frère et camarade Georgeo.

Je vous remercie.

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[1] Et non à mort comme indiqué par erreur  dans la quatrième de couverture de son excellent ouvrage de vulgarisation sur la mondialisation capitaliste.  

 

Voici l’allocution prononcée par le camarade Noureddine Abdelmoumene.

 

Chères sœurs, chers frères, chers amis et chers camarades.

Nous avons le plaisir et la joie de nous retrouver ensemble, dans ce bel établissement, pour rendre hommage à un des nôtres, à un des fils de l’Algérie combattante, Georges Acampora.

A travers Georges Acampora, nous rendons hommage, à toutes les filles et fils de l’Algérie qui à travers les millénaires, les siècles et les années, à travers l’Histoire ont résisté, combattu, libéré et construit notre pays.

Je vous demande d’observer une minute de silence, à la mémoire de nos martyrs, de tous nos martyrs à travers l’Histoire…

Je vous remercie.

La cérémonie d’aujourd’hui se déroule à la veille de la célébration de l’anniversaire du 1er Novembre 1954, alors que nous venons de célébrer le 75e anniversaire de la création du Parti Communiste Algérien.

Jetons un regard sur notre programme de cet après-midi

1)         Nous donnerons d’abord la parole à M. Sid Ahmed Kessar, qui nous expliquera, en l’absence du Docteur Djamel Sakheri, comment et pourquoi les promoteurs de cette clinique ont voulu honorer  Georges Acampora, en donnant son nom au centre de dépistage du cancer.En réalité, c’est un hommage des enfants de Bab El Oued à un enfant de Bab El Oued !

2)         Fatah Agrane donnera ensuite lecture du message de Sadek Hadjeres adressé aux participants à l’hommage  à Georgeot

3)         La parole sera donnée à M. Mustapha Boudina, président de l’Association des anciens condamnés à mort , qui n’est pas encore dans la salle.

4)         Khaled Gallinari  donnera ensuite lecture d’un passage d’un livre en cours de finition de Pierre Cots, autre militant , autre enfant de Bab El Oued et ancien détenu à Serkadji et à El Harrach. Il nous révèlera, un Georges Acampora, syndicaliste.

5)         Les amis de la Protection civile, famille professionnelle du lieutenant-colonel  Acampora, auront ensuite la parole.

6)         Nous ferons une Halte musicale, avec  Réda Doumaz que nos amis connaissent bien, puis avec H’ssan Agrane, du Groupe  musical « caméleon », qui sont venus bénévolement participer à cet hommage

7)         L’après-midi se terminera avec l’ouverture d’un débat et les interventions des anciens détenus, condamnés à mort et moudjahidine, de toutes celles et ceux qui veulent prendre la parole. Dans l’invitation qui nous a été adressée  à tous, on nous priait non seulement d’assister à l’hommage, mais de participer à cet hommage. Alors faisons-le !

 

Qui est Georges Acampora ?

 

Avant de donner la parole aux différents intervenants, essayons de rassembler quelques éléments biographiques. Il  nous a été particulièrement difficile de rassembler des éléments du chemin et du combat du fils de Bab El Oued. Il ne fallait pas trop compter sur notre ami, qui comme vous le savez est d’une discrétion et d’une modestie proverbiales. Heureusement qu’il y eut l’aide de Juliette. Nous noterons qu’il y a eu très peu d’écrits, de textes, de coupures de journaux, de photos, de témoignages. La dureté de la guerre de libération, la répression ont tout emporté. Mais enfin essayons !

Georgeot est né à la mi-février 1926, rue d’Orléans au vieux quartier de la Marine, à Bab El Oued. C’est là qu’il ira à l’école primaire. Sa maison natale, comme son école primaire seront rasées dans ce quartier vétuste. Toute la famille ira habiter à quelques centaines de mètres de là, mais toujours à Bab El Oued.

Les parents sont d’origine italienne. Georgeot sera le dernier des six frères et sœurs.

Le père Augustin Acampora vient d’Italie, il est marin pêcheur chez un patron à la Pérouse , aujourd’hui Tamentefoust.

Antoine, c’est le second prénom de Georgeot, quitte l’école à 14 ans, malgré qu’il était bon élève, sa mère ne voulait pas, mais il fallait bien tous travailler pour survivre.

Il travaille comme ouvrier pêcheur et se souvient comment il transportait à la force des bras et sur ses épaules les cageots de poissons  à partir d’Hussein Dey pour les vendre au marché de Belcourt.

Sa mère Clémentine Castagna, travaillait chez elle, à domicile, comme cordonnière.

Georges Antoine commencera ensuite à travailler chez Spinoza, comme apprenti tourneur, puis chez Fotiadis près de l’Agha, toujours en tant que tourneur. Il passera ensuite à l’usine Job de tabac à Bab El Oued, dans l’entretien du matériel. C’est chez Job, que cet ouvrier deviendra syndicaliste à la CGT et c’est là qu’il dirigera une grève de 40 jours de l’ensemble des quatre  usines de tabacs de Bab  El Oued.

En 1950, en début d’année, Acampora adhère au Parti Communiste Algérien (PCA). Comment y est-il venu ?

Il nous l’a confié en juillet autour d’un café : « hé bien comme j’étais sur le quartier,  je connaissais des camarades qui y activaient pour le PCA ; j’ai commencé à participer à des actions sociales avec les camarades , sans être membre du parti. Ensuite on assiste aux premières grèves, et là, tu commence à voir, à comprendre, à rentrer dans l’action. Je n’avais ni mon père, ni ma mère, ni mon frère dans ses idées-là. Les choses de la famille ce n’était pas ça…Je connaissais des camarades dans le quartier, alors j’y suis allé tout seul, à la section de Bab El Oued…C’est dans l’action avec les camarades que j’ai décidé d’entrer au PCA »

Acampora effectue son service militaire à Cherchell, ça l’aidera quand il a fallu qu’il prenne les armes pour libérer son pays. Quelques mois après novembre 54, au printemps 55, le PCA crée  ses propres maquis et ses propres  Combattants De la Libération les CDL , tout en poursuivant ses démarches pour prendre contact avec la direction du FLN et sceller les accords FLN-PCA pour l’intégration des CDL  au sein de l’ALN . Au sein des groupes de choc, Acampora participera à l’attaque du commissariat de la Redoute. Comme ouvrier tourneur expérimenté, il réparera les mitraillettes, rectifiera les culasses au sein des ateliers des pompiers. « Je rentrais une arme à la fois » dit-il

Sur dénonciation Georgeot est arrêté à la caserne, torturé, emprisonné à Serkaji, puis fut condamné à mort.

Ce n’est que début 1959, qu’il passera de Serkaji à El Harrach. Il venait de bénéficier d’une grâce et sa peine fut commuée en travaux forcés à perpétuité, avec 181 patriotes condamnés à mort. De ce passage à El Harrach il conservera une belle, de ses rares photos, avec un groupe de jeunes prisonniers. Il montre le jeune qui est au centre, «c’est notre muezzin» dit-il et c’est moi qui le réveillais chaque matin pour qu’il lance l’appel à la prière. C’est vrai qu’un condamné à mort apprend à ne pas s’endormir avant l’aube

 

Mon idéal demeure

 

Le  11 mars 1991, après le séisme qui a secoué les partis communistes et les pays socialistes, le journal l’Humanité, organe central du Parti Communiste Français, publiait un entretien avec Georges Acampora.

 


Le mouvement de libération national, déclare-il, a canalisé tous les patriotes sur l’objectif de l’indépendance de l’Algérie. Les communistes algériens ont participé à ce large mouvement de libération nationale. A cette  époque la perspective socialiste donnait à notre combat un objectif à long terme. Nous avons partagé cet espoir avec des nationalistes issus du MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques).

 

Personnellement j’ai participé après l’indépendance aux brigades de travail volontaire pour la réforme agraire. Nous avons aidé les paysans à occuper les grandes propriétés laissées vacantes par le départ des colons. Nous avons participé bénévolement au reboisement des régions entières napalmées. Je me souviens du rassemblement de l’Arbatach. Plus d’un million de personnes étaient là. La venue de Che Guevara à Alger avait enthousiasmé notre jeunesse. Aujourd’hui ces arbres atteignent une hauteur respectable. Le socialisme n’est peut-être plus à l’ordre du jour, mais je reste profondément attaché à mon idéal. Je continue à militer au Parti de l’Avant- Garde Socialiste (PAGS). J’espère que la façon dont s’est déroulé la Guerre du Golfe va faire tirer aux peuples de la région les enseignements nécessaires pour qu’une telle tragédie ne puisse se renouveler »


 

Si vous interrogez aujourd’hui  Georgeot  sur les mêmes sujets, il vous renouvèlera ses convictions politiques et idéologiques et vous redira : « mon idéal demeure ! »

 

Julia

 

 On ne peut parler de Georgeot sans parler de Juliette, c’est pourquoi l’hommage d’aujourd’hui s’adresse à eux deux, à ce jeune couple de 62 ans de vie commune.

Juliette s’appelle en réalité Julia Garcia. Elle est née un 15 mars 1930 à Notre Dame d’Afrique. Elle est la dernière de six enfants : trois garçons et trois filles.

Le couple Garcia a fui l’Espagne à cause de la misère. Le père Pascal s’engage comme maçon à Notre Dame d’Afrique, la mère Ascension Nadal s’engage comme femme de ménage dans les familles bourgeoises.

Juliette raconte que dans ce coin pauvre de la capitale « il y avait des Algériens, des Italiens et des Espagnols. ». Il n’y avait pas de Français, dit-elle !

En 1936 le père part en Espagne, c’est la guerre civile, ce républicain ne reviendra pas.

A partir  de ce moment toute la famille doit travailler pour survivre.

A 14 ans, Juliette  fait des ménages, puis entre en apprentissage, et à 16 ans elle est déjà ouvrière dans une usine de chaussures à Bab El Oued, où la famille demeure.

Destin commun : Juliette et Georgeot se rencontrent à Bab El Oued. Fidèles, ils ne se sont jamais quittés, ni quitté leur quartier. Si, quand même, pendant les années noires de la guerre de libération nationale où Georgeot avait été arrêté en 1956, sur dénonciation, à la caserne des pompiers, baptisée aujourd’hui Khelifi.

Juliette n’a pas baissé les bras; pourtant, elle était comme une pestiférée dans un quartier hostile aux combattants pour l’indépendance. Elle sera à plusieurs reprises kidnappée par la police pour interrogatoires. Même l’OAS tentera de la racketter !

Dans son atelier de chaussures elle trouvera l’aide d’un petit patron juif, qui non seulement la gardera comme ouvrière, mais les jours de paie, s’arrangeait pour ajouter un bonus, afin de préparer le panier destiné à Georgeot. Un couple bâti dans la lutte commune.

A l’indépendance, Georgeot reprend son boulot comme sapeur pompier, et Juliette se transforme en standardiste à Alger républicain jusqu’en juin 1965, pour être ensuite vendeuse, puis cantinière… Elle arrêtera de travailler dehors, à 70 ans !

Il m’est arrivé de poser la question provocatrice à Juliette « quel est le défaut de Georgeot ? ». Elle fait semblant de réfléchir pour dire enfin « il ne parle pas beaucoup ! »

Je pose la même question à Georgeot. Son visage s’éclaire d’un large sourire, ses yeux se plissent, mais il ne dira rien ! On s’est compris.

Adorable Juliette, aujourd’hui un ami, Fatah Agrane, a préparé une lettre pour toi.

Écoutons-le…  

 

Lettre à Juliette

 

Bonjour camarade !

Aujourd’hui je voudrais te dire des tas de choses !

Comme, comment m’apprendre à tresser le courage, tailler l’espoir pour en faire emblème!

Comment allaiter le condamné a mort avant la guillotine !

Te dire de m’apprendre à résister et lutter pour deux, pour mille, pour l’idéal !

Je me contenterais juste de te demander de me raconter l’histoire du (pull)

Le pull destiné A Fernand, il avait froid le camarade en ce début du mois de février 1957 dans le quartier des condamnés a mort de la prison de Barberousse a ALGER ! Sa femme est venue te voir pour lui transmettre à travers son compagnon Georgio, un pull qui puisse le tenir au chaud car c’était ton jour de parloir !

Et tu te présentas fierté !a la porte de la prison voulant faire la chaine pour voir ton amour  GEORGIO, les femmes présentes sur les lieux t’avaient alors demandé de ne pas rentrer ce jour la ! Étonnée et angoissée tu avais foncé vers la porte et la on t’informa que FERNANT IVETON à été guillotiné a l’aube, avec ses compagnons Mohamed OUENNOURI et MOHAMED LAKHNECHE

La terre avait tremblé sous tes pieds, et tu avais éclaté en sanglots, les femmes t’avaient dis alors !surtout pas devant eux ! Ne pleure pas devant « l’isstiaamar »le colonialisme.

Ils les ont guillotinés à l’aube !....le poète Nazim Hikmet disait dans une lettre de prison à sa bien aimée pour la rassurer « on ne va quand même pas arracher la tête d’un homme comme on arrache un navet ! »

Et pourtant ma chère JULIETTE ! Comme l’avais dit le jour même de l’exécution ANNIE FIORIO STEINER détenue au même moment et à la même prison dans le quartier réservé aux femmes !

Ce matin ils ont osé

C’était un matin clair

Aussi doux que les autres

Ou vous aviez envie

De vivre et de chanter.

Vivre était votre droit

Vous l’avez refusé

Pour que par votre sang

D’autres soient libérés.

Que vive votre idéal

Et vos sangs entremêlés

Pour que demain ils n’osent plus

Ils n’osent plus

Nous assassiner.

En sanglots tu te présentas au parloir devant GEORGIO qui te répéta la même chose «ne pleure pas, veux-tu faire plaisir aux gardiens ? Ressaisis toi, oui, à l’aube ils ont exécuté Fernand Iveton et les deux frères ! Surtout ne pleure pas !

Le couffin a été remis et le pull d’IVETON c’est  GEORGIO qui l’a mis  jusqu'à la fin, jusqu'à ce qu’il tombe en lambeaux !

La légende dit que ce pull a été porté par tous les condamnés à mort exécutés et ceux restés en vie !

Par nos chouhada tombés au champ d’honneur pour que vive l’ALGERIE libre et indépendante !

Ce pull a voyagé dans le ciel bleu d’ALGERIE ! Pour raconter le rêve des martyrs pour la justice, la solidarité et la liberté !

Ce pull qu’a porté GEORGIO et toi ma chère JULIETTE nous le porterons toujours sur notre dos et dans nos cœurs ! La légende dit qu’il avait trois couleurs, vert, blanc et rouge frappé d’un croissant et d’une étoile !

JULIETTE je t’embrasse !

aujourd’hui je voudrais te dire des choses !que je ne pourrais jamais parler de GEORGIO, OUENNOURI, IVETON, LAKHNECHE, sans penser à toi ! et à tes semblables résistants anonymes de notre peuple !

Que je ne pourrais jamais penser au combat sans me rappeler ton doux sourire et ta voie cristalline !

Que je ne pourrais jamais parler liberté sans condamner le colonialisme !

Tu sais JULIA rien qu’hier sur les colonnes d’EL WATAN deux journalistes de ce quotidien ont écrit en réponse à un historien indigné devant leur aplaventrisme devant l’OTAN que (la lutte contre l’impérialisme est un combat d’arrière garde), c’est sûr qu’ils ne t’ont pas connue ! c’est sûr qu’ils n’ont pas porté le pull d’IVETON et d’un million et demi de « chouhada » ! savent- ils au moins qu’ils parlent du stade suprême d’un ordre qui a engendré le colonialisme ?

Je t’embrasse mère, camarade !

 

FATEH AGRANE,

Alger le 28 10 2011

 

 

 

Message de Pierre Cots lu par Khaled Gallinari

 

LA GREVE DE 40 JOURS

 

Pierre Cots, ancien responsable du PCA à Bab El Oued, ancien détenu à Serkadji, à El Harrach, à Lodi, actuellement loin d’Alger, a voulu participer à l’hommage rendu à son camarade de lutte. Il nous a autorisés à publier un passage de ses mémoires en cours de préparation. Il raconte :

Georges Torrès, emprisonné aussi à Serkadji, ignorant presque tout de certains camarades,  voulait en savoir davantage sur Georges Acampora qui, tout comme nos camarades Yahia Briki, Abdelkader et Jacqueline Guerroudj croupissait dans une cellule de condamné à mort. Par hasard, j’étais l’un des seuls présents dans la salle à pouvoir évoquer son parcours, certes avec des lacunes. Les autres camarades ne l’avaient pas ou guère connu, à l’exception de Lakhdar Kaïdi en raison de leurs activités syndicales. 

 

- Parle-moi un peu de ce camarade que je n’ai jamais eu l’occasion de rencontrer, me demanda-t-il.

 

- Que veux-tu savoir de lui ? Je vais te dire le peu que j’en sais car c’est un camarade de grande discrétion. Bien, je commence par te le décrire : il est grand, mince, ses cheveux sont noirs et abondants, ses yeux sont foncés, souvent souriants et surtout animés d’éclairs d’intelligence. Enfin, il a le nez busqué et de grande taille. Il est très doux mais pas toujours très causant. Il se déplaçait avec une grosse moto et a réalisé son rêve au début des années cinquante, celui de devenir pompier*. Sa compagne, Juliette, est très souriante et parle beaucoup plus que lui. Ce qui la caractérise, c’est son accent à couper au couteau. Je ne connais aucune femme qui ait de telles inflexions. Ses expressions sont typiques des habitants de Bab-El-Oued.

 

Lorsque j’ai fait la connaissance de Georges - on l’appelle Georgeot - ce devait être en fin de l’année cinquante et un ou au début de cinquante-deux, il revenait d’un voyage en URSS où il s’était rendu avec une délégation syndicale. Il n’était pas encore membre du PCA. Il n’avait pas compris certaines choses lors de son voyage, notamment le concept de la dictature du prolétariat. Il était employé en tant qu’ouvrier tourneur ou ajusteur, je ne me souviens plus très bien, chez Job, une fabrique de cigarettes de Bab-El-Oued. Tu sais, presque toutes les fabriques de cigarettes sont implantées à Bab-El-Oued. A son retour de voyage ou peu après, il a trouvé un grand mécontentement chez les travailleurs de toutes ces usines, Job, Bastos, Mélia et Berthomeu, dont les salaires étaient très bas et les cadences de travail difficiles à tenir. Un mot d’ordre de grève avait été lancé et suivi par la quasi totalité des personnels. A l’usine de mon quartier, chez Mélia, hormis un contremaître personne ne travaillait.

 

Comme je traversais une période de chômage, celle-ci dura un mois et demi, les camarades de la section m’ont demandé d’aider les grévistes à organiser la solidarité. Etant tout à fait disponible, j’ai volontiers accepté cette tâche.

 

Nous avons constitué deux équipes. Tous les matins, avec une grande corbeille en lattes de roseau, nous nous rendions chez les commerçants du marché de la rue de l’Alma et des rues adjacentes pour y collecter des denrées alimentaires, du riz, des haricots secs, des légumes frais, du pain, parfois un peu de viande chez Dahan un boucher de la rue Chateaudun qui se disait sympathisant du PCA et du fromage chez, Catherine, qui tenait boutique à l’intérieur du Marché couvert et qui était la femme d’un camarade maçon. Le syndicat distribuait ensuite tout le produit de notre collecte aux plus nécessiteux des grévistes. Je te rappelle que ceux-ci étaient clients chez les commerçants, bien sûr. Cela expliquait peut-être leur générosité !

 

La grève a duré, je crois, une quarantaine de jours. Elle a été dure en raison du comportement des patrons et de la police qui, tous les jours, venait provoquer les piquets de grève constitués d’hommes et de femmes avec lesquels les heurts étaient quotidiens et parfois très forts. Quand les policiers déferlaient avec leurs motos sur les piquets de grève, les travailleuses, avec une combativité admirable et beaucoup de courage se portaient au-devant des motards. Les chocs étaient souvent violents, mais elles ne reculaient pas. La police envoyait quelquefois l’un des siens, un inspecteur, pour tenter de glaner des informations durant les assemblées générales qui se tenaient tous les matins à la salle Barbusse, une grande cave louée par la section de Bab-El-Oued de l’UJDA qu’elle avait mis à la disposition des grévistes*. Mais, tu penses bien, le flic ne passait pas inaperçu, étant immédiatement repéré, il était chahuté jusqu’à ce qu’il parte penaud et honteux d’être la risée des travailleuses et travailleurs. Cela finissait évidemment par de grosses rigolades.

 

En l’absence de Braham Moussa, secrétaire du syndicat des tabacs – il était en délégation en Chine – Georges dirigeait cette grève aidé par des membres du Parti employés dans ces usines. Il y avait Belgacem, Hamadoui, Chaouch Mokhtar, dit Bébert, le frère de Baptiste Pereto, Cecile Di Fusco et d’autres dont j’ai oublié les noms.

 

Je dois ajouter que Braham Moussa, entre temps revenu de son séjour en Chine, bien que responsable du syndicat des tabacs, s’était montré peu enthousiaste pour assister les grévistes. Il consacrait une grande partie de son temps à jouer aux dominos et à la « ronda »** ( dans un café maure situé sous les arcades en face du marché Nelson, non loin du cinéma Le Majestic. Je te donne toutes ces précisions parce que j’imagine que tu connais mal Bab-El-Oued puisque tu habites à l’opposé de la ville.

 

Un matin, avec tous les grévistes, par petits groupes pour ne pas éveiller les soupçons de la police, nous nous sommes rendus à la préfecture d’Alger en empruntant des artères différentes et avons réussi à occuper le hall central et les escaliers. Nous avons pu manifester pendant quelques minutes avant que les flics ne nous évacuent de là.

 

Vincent Yvorra, ce bon camarade de Bab-El-Oued, nous avait accompagné, il était enchanté de se retrouver au milieu des travailleurs et le succès de la manifestation le rendait heureux comme un poisson dans l’eau. Le fait d’avoir traversé une partie de la ville sans attirer l’attention de la police avait été un réel exploit !

Georges Acampora avait, pratiquement seul, parfaitement dirigé cette grève.

 

Par la suite ou un peu avant, je ne sais plus, il adhéra au Parti et devint l’un des dirigeants de la section de Bab-El-Oued. Voilà ce que je peux te dire de Georges Acampora.

 

Le Parti a fait à cette occasion deux adhésions, celle de Hamadoui et de Belgacem, tous deux employés à la fabrique de cigarettes Berthomeu à la rue de Dijon.

 

Un autre témoignage sur cette grève mémorable nous a été fourni en juillet 2011 par Juliette :

 

« Un jour, une grève s’est préparée. Un coup de sifflet de Georgeot, et l’usine tout entière a cessé le travail ! Le patron avait dit à Georgeot : « Un homme comme vous mériterait d’être fusillé ! »  Elle éclate de rire puis poursuivit fièrement : « Il était jeune, mais il a fait arrêter l’usine ! »

 

 

Notices biographiques de GEORGES ACAMPORA

 


 

 

Extrait du livre: « Algérie. Engagements sociaux et question nationale. Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier Maghreb.  Sous la direction de René Gallissot »

Ed. Barzakh, Alger, 2007. 

 

« Sapeur pompier à ALGER, communiste, Georges Acampora opte au printemps 1955 pour la lutte armée avec quelques autres « européens » militants du PCA qui cherchent à  être intégrés à l’ALN. Il fait partie du « commando de choc » du Grand ALGER.il prépare les armes réparant notamment les culasses d’un lot provenant du camion détourné par l’aspirant MAILLOT dans les ateliers de la caserne de pompiers. Il prend notamment part à l’attaque du commissariat de la redoute (El Mouradia). Fait prisonnier en 1956, condamné a mort, il est gracié en 1959 avec 181 autres condamnés a mort. A l’indépendance, il devient Commandant de pompiers et demeure à ALGER.

 

SOURCES/H.ALLEG, la guerre d’ALGERIE OP.CIT

S.KASTEL, le maquis rouge. L’harmattan, paris, 1997

Notice rédigée par Anissa Bouayed »

 


 

Pierre-Jean Le Foll Luciani est  élève de L'École Normale Supérieure de Lyon, il prépare un doctorat sur l'anticolonialisme en Algérie. Il  a recueilli les informations suivantes qu’il a bien voulu nous communiquer à l’occasion de cet hommage.

Avant la guerre d’indépendance, Georges Acampora a été secrétaire de la section Bab El Oued du PCA à Alger.

Le 1er octobre 1956, les paras l’arrêtent et saisissent à son domicile 9 tracts communistes « La Voix du soldat » (journal destiné aux soldats français du contingent, s’opposant à la guerre d’Algérie, édité par un réseau dirigé par Lucien Hanoun).

Il est inculpé comme dirigeant de la branche militaire des Combattants de la libération, organisation armée du PCA.

Il est condamné à mort par le Tribunal permanent des forcées armées d’Alger de 6 août 1957. 


 

Sur Youtube vous trouverez des morceaux choisis de ces moments émouvants en compagnie de Georges et Juliette.

 

Réda Doumaz et H'ssen Agrane ont participé tous deux bénévolement à l'hommage, ils ont chanté en solo, puis en duo pour la première fois. 

 

Vidéos de la commémoration de George  Acampora 

http://www.youtube.com/watch?v=qSSb52CdpAQ

Reda Doumaz et le groupe Caméléon

http://youtu.be/fDCu5Vmsvpc

 



[1] Et non à mort comme indiqué par erreur  dans la quatrième de couverture de son excellent ouvrage de vulgarisation sur la mondialisation capitaliste.  

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